Des ateliers de prospective créative et citoyenne
L’heure est à la dictature du court terme, aux crises économiques, financières, écologiques, sociales qui surgissent de nulle part et de partout. L’heure est aussi au repli, au renfrognement, à la nostalgie du passé, à la délectation morbide devant tant d’effondrements. Rien n’incite à l’espérance. Rien n’incite même à regarder devant et loin. En sommes-nous si sûrs ?
Et si, au contraire, l’époque rendait possible, nécessaire ou même impératif d’inciter les citoyens à se projeter en avant, d’en appeler à leur imagination pour dessiner des futurs. C’est le pari que nous avons proposé à plusieurs collectivités publiques et à quelques entreprises. Et, à la surprise, grande surprise même de beaucoup, les citoyens ont répondu présents, ont manifesté beaucoup de joie (le mot vous semble grossier ?) à travailler ensemble, à concevoir les contours de leur ville ou de leur département.
LA PROSPECTIVE
L’exercice collectif commence par une question simple : quels sont les changements notables des dix dernières années ?
La question surprend et réveille les neurones. La prise de conscience des changements est immédiate et ceux évoqués ne sont pas tous synonymes de régression ou de recul. Les développements d’internet, des vélos en ville, du tri des déchets, des aliments bios, des tramways, des panneaux solaires et des éoliennes sont autant de signes d’évolution qui tissent fil à fil d’autres villes ou d’autres territoires.
Conscients des changements à l’œuvre sur une si courte période, il devient alors plus facile aux citoyens sollicités de se projeter, de regarder plus loin, d’imaginer des évolutions.
Quelle ville ou quel territoire voient-ils en 2020 ou 2025 ? Quelles évolutions veulent-ils soutenir ou contrecarrer ? Que proposent-ils comme inflexion au cours des choses ? voilà les questions auxquelles il leur est demandé de réfléchir ensemble.
À travers ces ateliers de prospectives, c’est le retour de la politique, avec les citoyens.
LA PROSPECTIVE CREATIVE
Imaginer le futur est impossible par la simple discussion collective, par la seule confrontation des arguments ou des points de vue. La méthode que nous avons expérimentée grandeur nature suppose un saut créatif ou, comme le disent certains, d’opérer une disruption. Il convient donc d’inciter les citoyens à envisager autrement le futur en laissant libre cours à leur imagination, à leurs intuitions, à leurs cerveaux créatifs et créateurs.
Par le truchement d’un dessin à façonner ou d’une première page de quotidien à composer, les tables de citoyens sont conduites ou contraintes à radicaliser leurs visions, à les exprimer de manière imagée et évocatrice. La confrontation des « créations » permet de révéler les convergences mais aussi les différences de vision.
Les talents créateurs sont au rendez-vous. Les productions prospectives sont stimulantes, percutantes, souvent drôles, mais toujours engagées, responsables. Jamais anecdotiques. Sont évoqués tour à tour de nouvelles solidarités intergénérationnelles, de nouveaux métiers, une nouvelle convivialité plus quotidienne, des circuits courts et des réseaux denses.
Après deux décennies technologiques, l’humain et le collectif sont de retour.
LA PROSPECTIVE CITOYENNE
Certaines collectivités ont eu ou ont encore les moyens de financer des études prospectives que nous ne méprisons pas. Mais faire appel aux citoyens des villes et des territoires est une pratique qui a malheureusement peu cours.
Or, l’implication directe des citoyens dans un travail de prospective présente des atouts particuliers.
Le premier est de fonder cette réflexion sur un nombre significatif d’habitants et sur une grande diversité de regards, ce que peu d’études habituelles sont capables de réaliser. Les visions sont d’autant plus riches que le nombre mais surtout la diversité des personnes impliquées est vaste. Ce n’est pas simple à réussir, tant certains citoyens sont aujourd’hui éloignés de la discussion publique. Mais ce n’est pas impossible. Sur un département, ce sont plusieurs centaines, près d’un millier de citoyens, qui ont contribué.
Le deuxième atout est de pouvoir fonder les inflexions politiques qu’une réflexion prospective impose ou permet sur une volonté collective ouvertement exprimée. L’appropriation des enjeux futurs par les habitants eux-mêmes rend plus concrets et compréhensibles les choix à opérer politiquement.
Cette compréhension n’interdira bien sûr pas les oppositions ou les refus de certaines de ces évolutions, auxquels les élus devront répondre. à quoi serviraient les talents de pédagogie, de médiation et d’entraînement des élus politiques si le futur d’une ville n’était que le prolongement mécanique des dynamiques présentes ou la simple somme des aspirations individuelles ?
La prospective citoyenne permet seulement, mais c’est déjà beaucoup, d’élever le niveau de la réflexion collective et de donner plus de sens aux choix collectifs à opérer.
Jean-Pierre Tiffon, expert en concertation.